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Tharsilla et le Sorcier Noir
14 août 2008

Livre VI.

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Le corps inanimé de Désidérade dans les bras, Tharsilla pivota sur elle-même.

-Allons bon… Qu’est-ce qu’il se passe encore ? pensa-elle.

La brise souffla plus fort, emportant poussière et feuilles dans son sillage, tourbillonna à quelques pas de Tharsilla, révélant peu à peu une silhouette féminine.

L’apparition avait les cheveux faits de mousse, de brindilles et de feuilles de lierre, les yeux couleur verts d’eau animés d’une vigueur presque animale, et une longue robe verte tissée de brins d’herbe et de lichens.

Tharsilla ouvrit de grands yeux, se raidit, et, dans un geste lent, posa délicatement la dépouille de la villageoise sur le sol, et mît un genou à terre en signe de soumission devant Maïlikki, Dame de la Forêt, Patronne des rangers et alliée du dieu Sylvanus.

-Déesse. Prononça simplement Tharsilla.

-Tharsilla, lui sourit Maïlikki avant de retrouver son visage lisse et sévère. Il se passe de graves évènements. L’ordre des choses est bouleversé. Le destin du monde dépend de la décision que tu vas prendre.

-Montre-moi le chemin Déesse. Je suivrai la voie que tu m’indiqueras.

-La place de cette enfant n’est pas dans l’Autre Monde. Son rôle ici est capital. Tu dois aller l’y chercher et la ramener parmi nous. Vite!

Tharsilla se redressa d’un bond, un air incrédule sur le visage.

-QUOI ? Ah désolée mais c’est impossible! S’exclama-t-elle les bras au ciel. En l’espace d’une seconde elle avait oublié toutes les règles de bienséance devant sa déesse. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire à dormir debout ? Je suis en pleine quête, moi ! Comme si j’avais que ça à faire ! Et puis c’est même pas moi qui l’y ai envoyé, dans l’Autre Monde, tu n’as qu’à en parler à Beshaba !

Maïlikki sursauta devant la réaction de Tharsilla, visiblement un peu déstabilisée par la virulence de cet éclat de voix. Tharsilla continua de pester en faisant les cent pas pendant que Maïlikki se ressaisissait.

-Tu sais bien que je ne peux me retourner contre les autres dieux, surtout quand ils ne font que tenir leur rôle à la perfection, comme Beshaba. De ce fait tu es la seule responsable de ce décès. Maïlikki retrouvait son aplomb.

-Minute ! Intervînt Tharsilla l’index dressé, ni le carreau qui l’a tuée, ni l’arbalète qui a envoyé le projectile ne sont à moi !

-Tu  sais bien que c’est l’impact de ton poignard dans l’épaule de cette malheureuse qui a déclenché le départ du carreau, Tharsilla.

-Mais... Mais cette chasseuse de prime me visait MOI ! S'écria Tharsilla exaspérée.

Maïlikki s’efforçait de garder une mine sévère  et de ne pas lever les yeux au ciel à chaque protestation de la ranger.

-Je ne suis pas en train de négocier avec toi Tharsilla. Cette affaire est de loin plus importante que cette quête minable que tu opposes à la mission que te dicte ta Déesse et Patronne. Oublierais-tu à qui tu refuse allégeance ?

Tharsilla se radoucit, et baissa la tête en signe de soumission.

-Tu as raison, Déesse, je me suis emportée. Ma journée a déjà été bien remplie en complications et retardements. Pardonne mon tempérament impulsif, ou châtie-moi comme bon te semble.

Maïlikki esquissa un sourire devant la docilité retrouvée de la ranger.

-Ton châtiment est tout trouvé. Retrouve Désidérade Kelmedhu dans l’Autre Monde et ramène-la parmi nous. Je t’ouvre la porte des Limbes où son âme doit se trouver en attendant de pouvoir passer définitivement de l’Autre Côté.

Ce-disant, une zone de l’air qui entourait son doigt pointé dans le vide ondula jusqu’à former un passage assez grand pour laisser passer un corps adulte.

-Pour revenir parmi nous vous devrez vous rendre au sommet du Mont Putride et invoquer mon Nom. C’est votre seule issue.

Tharsilla avait encore mille protestations en tête, et c’est en adressant un regard en coin à la déesse qu’elle se dirigea vers le portail de téléportation, et en tenant sa langue.

-Ton courage et ta dévotion sont un modèle pour tes semblables, Tharsilla. Va et que le succès couronne la mission qui t’es confiée.

-Et elle en rajoute une couche !… Fût la dernière pensée de la ranger avant qu’elle ne traverse sans entrain le portail flottant qui se referma juste derrière elle. La déesse se volatilisa ensuite, emportant avec elle la dépouille de Désidérade.

Maïlikki se rematérialisa dans son Palais au milieu de la forêt céleste. Situé à l’écart de la cité des Dieux, il était constitué d’immenses épicéas vivants recourbés en un dôme verdoyant. Leurs cimes se rejoignaient, mêlant leurs branches en une architecture naturelle. La lumière filtrait par endroits le long des parois verticales, et les feuilles se découpaient en ombre chinoises dans le contre jour de ces fenêtres improvisées au gré de la poussée des arbres. Le sol était recouvert de roseaux tressés, eux même jonchés d’herbes fraiches  et d’épices odorantes. Des écureuils couraient le long des branches, se chamaillant pour une noix chipée dans un des plats posé là par une servante, ou fuyant un mouvement perçu par eux seuls. Des oiseaux de toute sortes avaient fait leur nids ça et là, et l’on entendait piailler les oisillons entre les allers-retours de leur parent parti en quête de nourriture. Il n’était pas rare non plus d’apercevoir dans un recoin une laie et ses marcassins, une biche au regard fuyant ou encore la licorne, emblème de la déesse. Aucune décoration superflue autre que la végétation elle-même ne venait compléter ce tableau. Maïlikki y était dans son élément, et n’aimait guère qu’on la força à s’en éloigner trop longtemps, encore moins qu’on l’obligea à quitter sa forêt.

Elle se laissa tomber sur son trône de branches et de mousses, satisfaite que le tête à tête avec cette cabocharde de Tharsilla soit derrière elle, et elle espérait sincèrement ne plus avoir à négocier quoi que ce soit d’autre avec cette tête de mule.

Son regard tomba sur le corps sans vie de Désidérade. Un rayon de lumière tombait sur son front pâle. Le sang qui ne coulait plus dans ses veines avait déserté ses joues à la rondeur encore enfantine. Le prétexte de cette petite était tombé à pic pour envoyer Tharsilla n’importe où ailleurs qu’à la recherche de cette maudite amulette. Et puis, Maïlikki aimait bien Désidérade, le côté pur et innocent de l’apprentie mage la rapprochait de la virginité originelle de la nature si chère au cœur de la déesse. Elle connaissait la réputation de Tharsilla, il ne faisait pratiquement aucun doute qu’elle réussirait à la ramener parmi les vivants. Cela leur laisserait un délai pour localiser cette fameuse amulette, et prendre de l’avance sur la ranger pour la récupérer avant les adeptes de Cyric.

Maïlikki convoqua ses intendants et leur donna des indications quant à la conservation de la dépouille de la jeune femme. Désidérade devait retrouver son enveloppe charnelle telle qu’elle l’avait quittée, et pour cela, il fallait ralentir au maximum le pourrissement des chairs. Est-ce qu’elle avait averti Tharsilla du délai maximal avant son retour ? Elle n’en était plus très sûre, il faut dire qu’elle n’avait pas escompté une telle joute verbale avec la ranger. Elle décida finalement qu’elle se ferait avant tout apporter une infusion de verveine, passiflore et de valériane agrémentée d’une pointe d’hydromel avant de ne serait-ce que penser à redescendre tenter une approche de la bourrue Tharsilla.

                                                                 ***

Une brume grise recouvrait le sol, et s’épaississait au loin, pour ne laisser qu’une vague idée de l’horizon. L’air était chaud, et donnait l’impression d’être trop épais pour être respiré par des poumons vivants. Une terre sableuse et grisâtre recouvrait le sol. Chaque pas en soulevait des nuages de poussière qui s’infiltrait sous les paupières, dans la bouche, et sous les vêtements. Le ciel semblait ne pas en être un mais plutôt un reflet du désert de cendres sur lequel elle se déplaçait. Tharsilla pouvait deviner des silhouettes autour d’elle, mais elles n’étaient pas assez proches pour qu’elle les discerne précisément. La plupart se déplaçaient lentement, sans but, enchainées dans une attente interminable dans ce lieu où l’idée du temps ne signifie rien. D’autres ombres, peut être arrivées plus récemment, en appelaient à leur dieu, priaient, les uns dévotement, les autres en sanglots ou en éclats de voix désespérés.

Tharsilla grimaça à la sensation du sable qui crissait entre ses dents, tenta d’adapter sa respiration à la sensation désagréable de l’air chaud qui comprimait sa trachée, et se mît en quête de Désidérade, plaçant un avant bras devant son nez et sa bouche pour se préserver de la poussière. Elle espérait secrètement ne croiser ici personne de sa connaissance, ou pire quelqu’un que sa main y aurait envoyé.

Ne sachant pas ce que les âmes réservaient aux vivants qu’elles pourraient rencontrer, Tharsilla essayait d’éviter au maximum les ombres qui déambulaient çà et là. Parfois, quand l’une d’entre elles était plus proche, Tharsilla pouvait entendre leurs murmures, monologue fou qui n’avait de sens que pour eux, ou simples gémissements plaintifs emportés par le vent jusqu’à ses oreilles. Tharsilla essaya de repousser au fond d’elle-même la question qui s’imposait à son esprit mais qui ne faisait qu’attiser sa colère :

-Mais qu’est-ce que je fous ici ?!

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