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Tharsilla et le Sorcier Noir
10 mars 2008

Livre II.

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Tharsilla tendait l’oreille. Elle avait cru entendre quelque chose s’approcher. Accroupie derrière un buisson et les mains posées d’instinct sur les deux saïs, sorte de poignards à trois pics, qui pendaient à sa ceinture, elle ralentit sa respiration afin d’être plus attentive encore à son environnement. Elle n’aurait pas voulu se laisser surprendre.

-J’ai dû rêver. Se dit-elle.

Elle relâcha alors la pression musculaire au niveau de son bas ventre et laissa le flot d’urine qui la torturait depuis déjà quelques kilomètres s’échapper enfin.

-Je vais espacer mes haltes dans les tavernes, se promit-elle, la bière et ses effets diurétiques me ralentissent.

La jeune femme sortit de sa cachette l’air visiblement plus détendu que quelques minutes auparavant, réajustant négligemment  les lacets de son pantalon de lin noir et les pans de sa surchemise de velours marron.

Cette grande gaillarde de presque 6 pieds de haut, chasseuse de prime de son état, arpentait les routes depuis cinq jours déjà, depuis le lendemain de sa rencontre avec ce vieillard à la Taverne de l’orée du bois dont elle avait accepté la mission sans plus d’entrain, mais il faut bien manger ! Et malgré la simplicité de la demande, il payait bien, très bien, même. Une aubaine, elle devait bien l’avouer, de dégotter une telle opportunité dans un coupe-gorge situé à la croisée des pistes qui reliaient les cités d’Hiddenvallon, Blackwizardon et Greatenorhizon! Mais après tout si les vieux sorciers comme lui n’avaient rien d’autre à faire que de dépenser leur or dans ses poches à elle, elle n’avait rien contre.

Pour autant qu’elle s’en souvenait, il s’agissait de récupérer une puissante amulette au fin fond d’une grotte du royaume d’Abhysseis. Le vieux lui avait fourni une carte plutôt sommaire, mais elle devrait suffire à rallier l’autre moitié nord de la Terre des Oubliés. Il devait la contacter ultérieurement pour de plus amples informations, et lui verser un deuxième tiers de la somme totale, et colossale, convenue.

Ses souvenirs n’étaient pas des plus limpides quand à cette rencontre, étant donné les circonstances dans lesquelles elle avait eu lieu : Tharsilla, qui venait de terminer une quête minable de garde du corps sur la personne d’un collecteur d’impôts de la ville d’Hiddenvallon sur qui les malheurs et les accidents avaient semblé s’acharner pendant un temps, avait décidé de se détendre en compagnie d’une fille de petite vertu agrémentée de quelques bières à la taverne qu’elle avait l’habitude de fréquenter dans les environs.

C’est lorsqu’elle était redescendue, titubant légèrement et le sourire béat, de la chambre dans laquelle elle s’était engouffrée un peu plus tôt dans la soirée avec une rousse à moitié vêtue qu’un vieil homme s’était approché d’elle, semblant la connaitre, de réputation du moins.

-Vous êtes bien Tharsilla Wegerweevil ? La fameuse Chasseuse de Prime qui remplit avec succès toutes les quêtes qu’on lui présente sous peine qu’on la rémunère à bonne hauteur ? Avait marmonné le vieillard accoudé au comptoir sans même la regarder, juste assez fort pour qu’elle seule l’entende. J’ai quelque chose à vous proposer…

Il s’était ensuite adressé à elle avec respect, il l’avait même flattée. Maintenant qu’elle avait pleinement retrouvé ses esprits et eu plusieurs jours pour y penser elle trouvait cela plutôt louche, et un peu gros. Sur le coup sa vanité l’a emporté, avec le recul elle se disait qu’elle n’aurait peut être pas dû accepter si rapidement la requête du vieil homme qui masquait son regard derrière sa capuche rabattue. Enfin elle se disait qu’elle avait toujours le temps de voir venir et qu’une belle somme l’attendait à l’issue de cette quête, et cela lui semblait une bonne raison de faire pleinement confiance à ce vieil homme au sourire en coin.

Tharsilla approchait d’un village en amont de Blackwizardon sur les rives de la rivière Fhägilt qui traversait le Royaume de part en part. Elle pouvait voir le toit des chaumières dessiner sur le flanc de la mince colline qui se dressait devant elle. Quelques maisons isolées étaient réparties ça et là jusqu’au premier coude que la rivière effectuait à quelques centaines de pas de la jeune ranger. Un groupe de matrones vêtues de longues jupes aux couleurs passées et aux chemises crasseuses et rapiécées puisaient de l’eau à genoux sur la rive.

Tharsilla se demandait comment une femme pouvait passer sa vie ainsi dans un village miteux, se laisser marier au premier guignol qui se présentait sourire béat accroché à la mâchoire pour amadouer ses futurs beaux-parents, se faire passer un anneau de céramique au doigt puis décrépir petit à petit aux côtés d’un benêt édenté et puant qui au mieux allait l’engrosser tous les ans jusqu’à l’anéantissement total de sa jeunesse, de sa beauté et même de sa brillante énergie, au pire lui flanquer une bonne raclée chaque fois qu’il rentrerait ivre de la taverne du village.

Dans le cas de Tharsilla c’était elle qui avait mis une belle déculottée à celui qui lui était promis par ses parents trop naïfs, un soir où, après avoir englouti la moitié d’un tonneau de bière à elle seule celui-ci avait prétendu  la posséder à même les plates-bandes de la résidence familiale. Elle avait à peine dix sept ans.

Un bruit dans les fourrés la tira de ses pensées. Sans n’en laisser rien paraître, et sans ralentir son pas, elle se concentra sur la source du bruit.

-Deux hommes en armure de cuir, et à pieds. Les yeux fermés pour laisser à son ouïe toute la concentration requise, Tharsilla poursuivît sa route. Un sur ma droite, à environ 30 pas derrière moi. Grande stature mais plus gras que musclé au bruit de ses pieds qui s’écrasent lourdement au sol. Le second à ma gauche, à moins de 20 pas. Plus léger, plus vif aussi. C’est lui que je prendrai par surprise.

Profitant d’un coude sur sentier qu’elle suivait, et d’un buisson un peu plus fourni sur sa gauche, elle s’y éclipsa et disparût dans les feuillages. Là elle pût se hisser dans les branches de l’arbre qui la surplombait sans être vue, et sans bruit. Il y avait longtemps maintenant qu’elle savait se déplacer en toute discrétion.

Accroupie sur une grosse branche elle n’eut pas à attendre bien longtemps pour voir apparaître le premier des deux hommes, épée courte au poing. Il avançait courbé en deux faisant visiblement des efforts pour marcher le plus discrètement possible et ce en dehors du sentier.  On ne pouvait pas dire que c’était une franche réussite.

Elle attendit qu’il passe juste au-dessous d’elle et se laissa tomber sur sa proie, un de ses saïs en main. Elle atterrit sur lui dans un souffle, l’agrippa au cou, et le fit rouler avec elle sous les branches de l’épais buisson qui l’avait camouflée une minute plus tôt, son arme pointée juste sous la gorge de son adversaire.

-Emets le moindre son et je me charge de te clouer le bec avec cette lame. grogna Tharsilla, dents serrées, à l’oreille du gringalet. Que voulez-vous, toi et ton ami grassouillet?

-Accomplir notre quête et gagner notre argent en retour.

-Mais encore? Qu’ai-je à voir avec votre mission ?

Le complice du jeune rôdeur avait approché entre temps, de nombreuses branches craquaient sous son poids. On l’entendait chuchoter le nom de son compagnon de route, ce qui fit lever les yeux au ciel à la jeune aventurière.

-Alwin !... Alwin, tu es par ici ?... Je ne la vois plus… Alwin ?...

-Tu en es la finalité. Nous devons t’abattre. Répondit courageusement le dénommé Alwin à sa tortionnaire.

-C’est la meilleure ! Tharsilla éclata de rire. Qui vous envoie ? La rouquine de la Taverne de l’orée du bois ? Aurai-je omis de régler mon ardoise ? Gloussa la ranger, ironique.

Le jeune homme profita de cet instant de flottement dans l’étreinte de Tharsilla pour lui flanquer un grand coup de coude dans les côtes, ce qui lui fit lâcher prise.

-Mundus !!! Cria-t-il à l’attention de son complice en se relevant d’un bond. Par ici ! Je la tiens !

Tharsilla qui, surprise, en eu le souffle coupé pendant une seconde,  se redressait déjà, esquivant la grosse botte crasseuse que son opposant lui balançait à travers la figure.

-Tu parles peut être un peu vite mon beau… Lui sourit-elle, les yeux pétillants, droite et fière comme un paon.

Le gros balourd avait rappliqué, essoufflé par sa course de 15 pas, une arbalète entre ses larges mains boudinées. Alwin, qui avait perdu son épée courte lors de son tête à tête avec Tharsilla quelques minutes auparavant, la ramassa parterre. Tous les deux fixaient Tharsilla, un sourire au coin de la bouche, certains d’avoir gagné d’avance.

Tharsilla, qui avait pu évaluer la valeur de ses adversaires lors de ce premier échange, préféra tenter de les raisonner. Elle espérait les ramener à la réalité de leur nullité et ainsi épargner leurs  vies.

-Ouvrez les yeux, les gars, vous ne faites pas le poids. Vous n’arriveriez même pas à chasser un lapin de garenne pris dans un collet. Retournez donc téter le sein de votre mère en attendant d’avoir du poil au menton et de vous attaquer à une femme comme moi ! Elle était sûre de l’effet de sa petite tirade.

-C’est marrant ce que tu dis, pour une femme seule face à deux hommes armés jusqu’aux dents, et tenue en joue par Mundus. Tu espères t’en sortir par une ruse de la sorte ? Jette tes armes au sol !

Mundus lâcha un ricanement pour appuyer la réplique cinglante de son complice : ses petits yeux disparurent presque derrière ses grosses joues. Tharsilla s’en amusa l’espace d’une seconde.

-Hum… Vous n’avez encore jamais tué personne hein ? Puis-je savoir ce qui me vaut un tel châtiment ? Qui a commandité ma mise à mort ?

-Aucune idée, répondit Alwin, on ne nous a pas donné de détail.

-Et tu n’as pas couru après hum ? Tu es prêt à abattre quelqu’un sans même savoir pourquoi tu lui ôtes la vie ? Quel manque de curiosité mon pauvre garçon !

- Tu dois mourir ! C’est tout !  Alwin se balançait d’une jambe sur l’autre, nerveux.

-Je ne tiens pas à vous éliminer, vous avez l’air de gentils gamins… lâcha-t-elle nonchalamment, jouant avec le saï qui n’avait pas quitté sa main.

-Nous ne sommes pas GENTILS ! Et encore moins des GAMINS ! s’écria Alwin, ce qui fît sursauter Mundus qui se mit à fixer son acolyte en hochant la tête de droite à gauche en marmonnant « Non, pas gentils ». Si tu ne jette pas tes armes parterre immédiatement j’ordonne à Mundus de t’envoyer un carreau…

-De toute façon vous devez m’éliminer, non ?

-Oui ! Et... Tu... Vis actuellement tes... Tes derniers instants! Bégaya Alwin, tendant mollement son bras armé vers Tharsilla.

-Alors pourquoi attendre, Tharsilla tourna son joli visage souriant vers l’arbalétrier, un air provocant dans les yeux, envoie-la sauce, Mundus… Là-dessus elle écarta les bras, offrant sa poitrine au projectile mortel, persuadée qu'il n'oserait jamais declencher son tir.

Mundus risqua un coup d’œil à Alwin pour obtenir son approbation, mais le garçon était tellement nerveux que son doigt tremblant pressa la détente de l’arbalète. Tharsilla entendît le déclic de l’arme et eu le temps de se préparer à esquiver le carreau en se jetant à terre sur sa droite. Elle roula sur le lit de lierres au sol et se releva dans son élan quelques pas plus loin.

Mundus en resta bouche bée et Alwin en profita pour se jeter sur elle en un cri de guerre qui rappela à Tharsilla le cri d’un petit animal dont elle ne retrouvait pas le nom. Epée en avant, Alwin fonça tête baissée. Tharsilla dévia facilement sa lame en la prenant entre deux des trois pics de son saï, si bien qu’Alwin se retrouva le visage plongé dans l’opulente poitrine de l’aventurière.

Tharsilla lui saisit le menton et lui releva le nez.

-Bouh ! Fît-elle grimaçante.

Les deux garçons prirent leurs jambes à leur cou, désormais convaincus de l'inégalité du combat, laissant tomber leurs armes derrière eux. Ils détalèrent, zigzaguant entre les arbres, poussant des cris d’épouvante et s'encourageant à courir plus vite.

Tharsilla les regarda s’enfuir en riant quand soudain elle sentit une présence dans son dos.

-On peut dire que tu leur as fichu une belle frousse, mais ce ne sera peut être pas aussi facile avec moi…

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